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L’autre jour on a reçu un message d’une femme qui nous parlait de son métier qui subissait la crise sanitaire de plein fouet. Pour cause, la crise économique qui en découle et qui impacte les entreprises qui suspendent leur mécénat. Notre valeur la plus forte au Curiosity Club, vous le savez et on ne s’en cache pas, c’est la curiosité. Alors on a appelé cette femme qui nous a parlé de son métier, un métier qui a été créé par une autre femme. On vous raconte.
Valérie Bernard est infirmière au CHU de Toulouse, en soin palliatif. Dans ce service, la durée moyenne du séjour des patients est de dix jours. C’est une unité difficile dans laquelle le médical peut paraitre impuissant : il est possible de soulager, pas de guérir. Mais c’est un service dans lequel les soignants sont plus que des soignants car ils déploient beaucoup d’énergie « à continuer à faire ». C’est un service qui ne se résigne pas, mais qui accepte et fait face. S’occuper des vivants, insuffler la vie, encore, toujours, même lorsque celle-ci prend fin.
Valérie aime son travail, elle aime être présente dans ces derniers instants de vie, elle aime la relation si particulière qui se crée avec des personnes qui ne composent plus avec les règles de la société. Il n’y a plus les mêmes enjeux, il n’y a plus les mêmes attentes, il n’y a plus le même poids au sujet des choses.
Quelle personnalité serait la nôtre, si nous n’avions pas la perspective du lendemain ? Comment se passe la vie de ceux qui ne conjuguent plus leurs phrases au futur ?
Ces personnes, bien souvent, se plongent dans ce qui est sûr d’exister : leur passé.
Valérie écoute ces inconnus se confier à elle. Elle est surprise par la confiance que lui donnent ces personnes qu’elle ne connaît pas. Alors naturellement elle écoute. Elle écoute les regrets, elle écoute les erreurs… mais surtout elle écoute les bons moments. Les souvenirs qui réchauffent les cœurs. La joie qui émane d’un prénom. Et puis l’amour. L’amour partout, qui déborde de tout.
Plus le temps passe, plus Valérie se dit que sa mission se joue là. Dans cette parole qu’elle récolte comme l’ultime fluide d’un corps. Et si l’âme, c’était les mots que l’on prononce ?
Elle y pense de plus en plus.
Et puis un jour, Valérie tombe sur Valéria en allumant sa télévision. Valéria Milewski a créé le métier de biographe hospitalière. Elle aime citer cette phrase de Paul Ricoeur qui l’a convaincue que tout cela, ce métier qu’elle est sur le point d’inventer, est la meilleure des idées : « Inviter l’autre à faire son récit, c’est l’inviter à donner du sens, de la cohérence et de l’unité à sa vie ».
Valérie contacte aussitôt Valéria. Valéria, la solaire Valéria, forme dans cette fonction si particulière tous ceux qui veulent se lancer. Alors un jour, Valérie se lance. Elle qui a repris ses études d’infirmière à 50 ans, décide d’opérer un nouveau tournant. Elle fait la démarche auprès de son hôpital, elle explique, elle raconte. Tout le monde est convaincu du bienfait d’une telle démarche chez un patient en fin de vie mais il faut trouver des fonds pour que Valérie se verse un salaire. Et c’est compliqué. Heureusement quelques entreprises se portent volontaires. Ce n’est pas très stable mais Valérie y va, parce que parfois, on est si passionné que le besoin d’agir et plus fort que celui de réfléchir.
Valérie se rend plusieurs demi-journées par semaine dans l’unité des soins palliatifs. C’est toujours les soignants qui viennent vers elle en lui disant « on a pensé que tu pourrais aller voir madame R… ». Ils lui font alors une anamnèse, un récit des antécédents médicaux du patient, afin que Valérie sache un peu à qui elle va avoir affaire.
Mais une fois le contact établi, il se peut qu’elle oublie. Pour une fois, ceux qu’elle rencontre vont parler d’autres choses que de leur maladie. Valérie est une fenêtre qui s’ouvre quelque part, en dehors de l’hôpital, sur un souvenir d’enfance ou un moment de joie.
Lorsque Valérie arrive auprès d’un patient, elle présente plusieurs cahiers de couleurs différentes et demande de choisir. Une partie de son travail commence là, dans ces mots qui accompagnent ce choix. Du sobre, du banal ou bien au contraire, du orange, du solaire, de la joie. Il y en a qui lui disent qu’ils n’ont rien à lui raconter, que leur vie n’a rien d’exceptionnel, qu’ils ont passé quarante ans à conduire un camion. Alors Valérie s’illumine. Quarante ans dans un camion ? C’est formidable ! Quel type de camion ?
Alors ils racontent et Valérie se met à noter sur ce carnet qu’ils ont choisi banal pour cette vie si unique. Il y a leur poids à la naissance, l’enfance dans les champs, la tante qui avait un piano, les pieds dans le sable en été, les plaids près de la cheminée, le voyage scolaire en Espagne, les dimanches en famille, leur carrière d’enseignant, le chien Arthus, la vache qui vêle, l’accident de voiture, le mariage de leur fille, le prénom de leur petit-fils, leur premier amour, toutes les autres amours. Ils racontent et le sang coule plus vite dans leurs veines car le cœur bat plus fort.
Elle note en gardant les expressions, les tics de langages, les mots utilisés. Elle retranscrit une histoire mais aussi une personnalité. Cette vie deviendra un livre qu’elle donnera à son protagoniste ainsi qu’à sa famille.
En quittant la chambre des patients, Valérie dit « à demain » et ce n’est pas toujours vrai mais cette femme sans blouse mais avec des cahiers multicolores qui se balade dans les couloirs d’un hôpital, c’est l’allégorie de l’espoir.
L’histoire de Valérie se fond parfaitement dans le thème de l’âge que nous tentons d’explorer depuis plusieurs semaines.
Qu’est-ce que l’âge si nous ne mourrons pas tous au même moment de nos vies ? Aujourd’hui, nous devenons vieilles et vieux en partant d’une date : celle de notre naissance. Et si nous prenions les choses à l’envers ?
Quel que soit notre âge, nous avons tous un récit de vie. C’est déjà notre parti pris au Curiosity Club : chaque femme a une histoire à raconter. Et si on arrêtait de penser que c’est l’apanage de l’âge que de faire sa biographie ? Si on se racontait chaque année, l’histoire de notre vie pour se rendre compte, qu’elle change au fil du temps. Se rendre compte que rien n’est fixe, rien n’est vrai. Il suffit de changer son regard sur soi, pour s’offrir un récit plus positif. Il suffit de quelques mois supplémentaires pour qu’une histoire qui semblait finir mal, se change en belle histoire.